Le symptôme comme objet fractal

Dossia Avdelidi

 

Alexandre Stevens clôt son argument pour le Congrès avec une citation déterminante de Jacques-Alain Miller pour aborder le thème du congrès : « L’addiction, c’est la racine du symptôme, qui est fait de la réitération inextinguible du même Un. C’est le même, c’est-à-dire précisément ça ne s’additionne pas. On n’a jamais le “j’ai bu trois verres, donc c’est assez” : on boit toujours le même verre une fois de plus. C’est ça la racine même du symptôme. C’est en ce sens que Lacan a pu dire qu’un symptôme, c’est un et cætera, c’est-à-dire le retour du même événement »[1].

Je veux attirer l’attention du lecteur sur la suite de cette référence, que je considère fondamentale. Jacques-Alain Miller compare le retour du même évènement à l’objet fractal : « On peut faire beaucoup de choses avec la réitération du même. Précisément, on peut dire que le symptôme est en ce sens comme un objet fractal, parce que l’objet fractal montre que la réitération du même par les applications successives vous donne les formes les plus extravagantes - on a même pu dire “les plus complexes” - que le discours mathématique peut offrir. »[2]

Cette idée du symptôme comme objet fractal m’a beaucoup intriguée. Il s’agit d’un terme mathématique. Une figure fractale est un objet mathématique qui présente une structure similaire à toutes les échelles. C'est un objet géométrique « infiniment morcelé » dont des détails sont observables à une échelle arbitrairement choisie. En zoomant sur une partie de la figure, il est possible de retrouver toute la figure ; on dit alors qu’elle est “autosimilaire”.

Les fractales sont définies de manière paradoxale, un peu à l'image des poupées russes qui renferment une figurine plus ou moins identique, à l'échelle près. Une définition de l’objet fractal pourrait être celle-ci : un objet fractal est un objet dont chaque élément est aussi un objet fractal (donc similaire). En fait, quand Miller dit que le symptôme est un objet fractal, il me semble qu’il essaie d’aborder le Y a d’l’Un de Lacan ; on pourrait lire dans l’objet fractal la dimension de l’Un.

C’est dans son cours du 4 mai 2011 de L’Un tout seul que Miller utilise le terme “autosimilaire” pour aborder le symptôme[3]. Cette séance a été publiée dans la revue Quarto[4].

Il y affirme alors que la boussole du dernier enseignement de Lacan est le symptôme et que cet enseignement s’inaugure avec la jaculation « Y a d’l’Un ». Aussi, il avance que le symptôme n’est pas une question, mais une réponse : c’est la réponse de l’existence du Un qu’est le sujet.

Ensuite, il se réfère au symptôme comme un et caetera en précisant ceci : « C’est une façon d’exprimer, à partir des signes de ponctuation, que la parole demandée par l’analyste […] dépend d’une écriture, et s’articule à la permanence d’un symptôme qui itère. »[5] Une itération est une action qui répète un processus et peut être référé à un « semelfactif » (en latin, semel = une seule fois), c’est-à-dire à « un évènement unique qui a valeur de traumatisme ». L’itération, c’est ce qui reste après la fiction. Une fois la fiction défaite, ce qui reste est l’itération d’un évènement de jouissance qui a valeur de traumatisme. C’est ça, la fixation.

« Ce semel factif, appelé en clinique traumatisme, [c’est] la rencontre avec la jouissance. » Pour pouvoir cerner ce « semel factif », il faut se déprendre des mirages de la vérité, de la fiction, de l’articulation signifiante : il est « en arrière de toute dialectique »[6].

De même, le symptôme, une fois réduit à son os, est hors dialectique et répercute le « une seule fois ». Miller nous explique que dans sa forme la plus pure, le symptôme est “autosimilaire”, c’est-à-dire que « la totalité est semblable à l’une des parties, et c’est en quoi il est fractal »[7].

Ce qu’on rencontre alors à la fin, comme reste, c’est le symptôme comme, « autosimilaire, [qui permet] d’apercevoir en quoi tout ce qu’on a parcouru répercutait cette même structure »[8]. La racine du symptôme dévoile ce que chacun a de fractal, l’élément autosimilaire qui, dénudé, est ce que le parlêtre a de plus singulier. Il s’agirait alors d’assumer, au-delà du fantasme, « le non-sens de cet Un qui, dans le symptôme, itère sans rime ni raison »[9].


References

[1] Miller J.-A., “Lire un symptôme”, Mental n° 26, Eurofédération de psychanalyse, Paris, juin 2011, 58.

[2] Ibidem.

[3] Miller J.-A., L’Être et l’Un (2011), L’orientation lacanienne, inédit.

[4] Miller J.-A., « L’outrepasse ou la passe dépassée », Quarto, no 124, 2020, 12.

[5] Ibidem.

[6] Ibidem.

[7] Ibidem.

[8] Ibidem.

[9] Ibidem.