A/GAIN

Florencia F.C. Shanahan

A/GAIN1

« D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. Tantôt l’un ou l’autre. Tantôt l’autre ou l’un. Dégoûté de l’un essayer l’autre. Dégoûté de l’autre retour au dégoût de l’un. Encore et encore. Tant bien que mal encore. Jusqu’au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l’un ni l’autre. Jusqu’au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où rien. Le lieu encore. Où rien. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou pire encore. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu’à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. (…) »2

« Encore, encore, encore ». Martèlement auquel nous nous soumettons alors que nous passons nos journées derrière le divan, comme du temps où nous y étions allongés.

« I can’t get no satisfaction ». Est-ce une plainte ? Une demande ? Une insistance qui soulage ? Ça dépend… « La répétition et son échec ». Cela confirme-t-il que nous y sommes condamnés ? Cela nous promet-il une éternelle impuissance ? Cela ouvre-t-il une brèche pour du nouveau ?


Le corps et les mots. Comment y entrer ? Comment en sortir ? Au cœur de la découverte freudienne, l’inconscient. Et son réel. Le trou d’un impossible. La sexualité. La mort. Pas de savoir préexistant pour nous dire comment faire. Ce qui ne veut pas dire pas de savoir du tout. Pas d’écriture possible du rapport sexuel. Ce qui ne veut pas dire pas d’écriture possible.

Qui plus est, le réel en jeu pour tous joue sa partie de façon unique pour chacun. Hors sens veut dire hors du sens commun, c’est-à-dire hors de ce qui est organisé par la signification phallique, ce qui est pour nous la fonction du fantasme fondamental. L’analyse donne une chance d’élucider cette singularité, à savoir ce qui du symptôme n’est pas déchiffrable et se nourrit du sens. Et une chance d’inventer une nouvelle façon d’y faire avec.

Dans le nouage entre amour, désir et jouissance, l’analyse peut conduire à une redistribution de la satisfaction impliquée dans la fixation et la répétition. La satisfaction du symptôme peut devenir sinthome, une fois l’objet a détaché de sa fonction de bouchon. L’objet, séparé de la demande (pulsion), en vient à fonctionner comme cause du désir, et l’amour en jeu dans la névrose artificielle supportée par le transfert cède la place à un nouvel amour, ou ce qui est en jeu est un nouvel rapport à la solitude et au vide qui la rend possible. « Ce que Lacan appelle amour vrai est né des signes de ce qui, en chacun de nous, marque la voie de notre exil. »3

« Ça un corps ? Oui. Dire ça un corps. Tant bien que mal debout. Dans le vide obscur. Un lieu. Où rien. Un temps où essayer de voir. Essayer de dire. Comment étroit. Comment vaste. Comment si pas illimité limité. D’où l’obscurité. Plus maintenant. Mieux su maintenant. Mieux pas su maintenant. Su seulement pas de sortie. Sans savoir comment seulement su pas de sortie. Entrée seulement. Donc un autre. Un autre lieu où rien. Où une fois venu pas de retour. Non. Pas de lieu que l’un. Rien que l’un où rien. D’où ne revient jamais une fois dedans. Tant bien que mal dedans. Sans au-delà. (…) »4

Le gain qui peut être attendu de l’analyse n’est pas seulement un gain de savoir - ce qui n’est pas à dédaigner. C’est un gain qui donne accès à une autre sorte de limite ou d’arrêt, qui – paradoxalement – s’ouvrant vers un certain illimité, permet une voie pour couper le encore5 de la répétition, même si ce n’est que de manière intermittente, contingente et pas-toute.

Références

1 Extrait du texte présenté lors de la 10e journée d'étude annuelle d’ICLO Société de la NLS, "I can't get no satisfaction. Repetition and its failure", 7 mai 2022, Dublin. Traduction : Dominique Chauvin.

2 En français : « Cap au pire », Paris, Les éditions de minuit, 1991, traduction Edith Fournier (légèrement modifiée par nous), p. 8.

3 Millot, C., « La logica y el amor », UNSAM, Tyché, 2021.

4 Beckett, S., traduction française, op. cit. p. 12, légèrement modifiée par nous.

Une étude intéressante de l’avant-dernier récit de Beckett propose cette analyse : « Au début du livre, la pensée dont le processus est observé est minimale. Au fil des paragraphes écrits dans une langue dense et elliptique, le champ de conscience du narrateur va graduellement se réduire encore. Le narrateur opère en manipulant les images floues évoquées au début du livre, les réduisant systématiquement jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que des points littéralement pas plus gros que des têtes d’épingles, disparaissant presque dans le vide alentour : « Aux limites du vide illimité. D’où pas plus loin. » A la fin du livre, l’esprit du narrateur est entièrement rempli d’un grand tout qui n’est que vide : l’image d’un univers presque sans repères. Malgré le côté lugubre de cette vision, le ton de l’avant-dernier paragraphe, annonçant la fin, est presque celui de la satisfaction : « Mieux plus mal pas plus loin. » Les derniers mots du paragraphe se tarissent en même temps que ce qui reste de l’intelligence du narrateur : Plus mèche moins. Plus mèche pire. Plus mèche néant. Plus mèche encore. Si, à ce stade ultime, il n’y a aucune manifestation de joie ni de félicité (un sentiment de joie est anticipé plus haut dans le texte), c’est qu’il ne reste plus de mots pour l’exprimer. » Hisgen, R. (9 décembre 1998). Interpreting Samuel Beckett’s « Worstward Ho » www.hdl.handle.net/1887/4924

5 En anglais again