Ribble, bobble, pimlico… vous dites ?

Beatriz Premazzi


Christoph Marthaler, directeur de théâtre suisse, met en scène « Aucune idée », pièce que je viens de voir à Vidy, Lausanne. Une scène m’intéresse particulièrement dans ce « délicieux théâtre de l’absurde », comme le nomme la critique des Inrocks. Le protagoniste et complice de longue date du directeur, Graham F. Valentine, acteur et musicien écossais, déclame le texte de Kurt Schwitters (mouvement dada) « Ribble, Bobble, Pimlico ».1 Pendant quelques minutes, les mots sont dits, chantés, murmurés, grincés, hachés, coupés ; l’artiste les fait chuter, s’envoler, craquer, ronronner… dans une répétition qui s’avère de plus en plus hilarante. Toutes les intonations de la voix d’un grand interprète y passent. L’effet est comique, un enfant dans la salle riait à gorge déployée.

Quand nous enlevons le sens des mots, il reste la musique de la voix et la manière dont on peut produire des sons. L’effet comique est produit par le non-sens, l’absurdité de jouer avec les mots sans intention de communiquer avec l’autre, et de jouir en le faisant. Plus l’interprète insiste, plus on peut partager avec amusement le flux sans queue ni tête qui nous renvoie à notre blablabla quotidien, pourvu que nous ayons la capacité de rire de nous-mêmes.

L’absurde renvoie au non-sens des plus petits détails du quotidien qui fonde l’humain et qui souligne le côté profondément dérisoire de sa condition de parlêtre. La psychanalyse que nous pratiquons provoque aussi des effets de dérision comme le théâtre de l’absurde. Il me semble que la répétition dans la scène analytique joue un rôle essentiel dans le dévoilement de ce qui fait le ridicule de notre condition. Apparaît ainsi cette jouissance sans queue ni tête qui nous tourmente et qui ne sert à rien2. La limite est à trouver dans la capacité de chacun à supporter le côté dérisoire de sa personne et l’absurdité de la vie.

« Détraquer les éléments du quotidien par l’absurde c’est y injecter des microdoses de poésie, et opérer une déviation, un appel d’air salvateur… »3 disait une autre critique de la pièce de Marthaler. Enrayer un tant soit peu ce qui tourne en rond, poussant la répétition à la limite, donne une respiration, un souffle d’air dans ce carcan étroit où se déroule notre existence. Ni metteur en scène de la pièce qui se joue avec des mots, des gestes, des intonations, ni cynique qui connaît le fin mot de l’histoire, l’analyste prend appui sur la puissance d’interprétation contenue dans le jeu des mots que l’analysant déploie devant lui sans le savoir.


Ribble, bobble, pimlico… je ne vous le fais pas dire !

Références

1 https://www.youtube.com/watch?v=Sw5hSRtsiME.

2 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p.11 : « La jouissance, c’est ce qui ne sert à rien. »

3 https://toutelaculture.com/spectacles/theatre/aucune-idee-marthaler-et-la-petite-musique-du-rire/