Quand la cause est partie, les effets dansent
De nombreux collègues relisent l’apport fondamental de Lacan sur la répétition dans le séminaire XI
en mettant cet apport en regard de la découverte de ce concept par Freud, ou de son amplification par J.-A. Miller dans ses derniers cours.
Abe Geldhof
“Quand la cause est partie, les effets dansent”[1]
Dans l'étude de notre thème annuel, Répétition et fixation, le séminaire XI de Lacan est une référence cruciale. Il y présente la répétition comme un concept fondamental de la psychanalyse. En liant ce concept à la fixation cette année, la cause de la répétition est également mise en question. Ce n'est pas une coïncidence, car dans ce même séminaire, Lacan se préoccupe de la question de ce qui cause la répétition. Il y résume ses idées sur la causalité psychique dans la phrase latine ablata causa tollitur effectus[2], traduite ainsi par Lacan : “Les effets ne se portent bien qu’en absence de la cause”.
En d'autres termes, toute causalité psychique nécessite une implication subjective. On ne soulignera jamais assez à quel point il s'agit d'une position éthique. Lacan s'oppose à l'idée toute faite que l'on peut remédier aux problèmes psychologiques en supprimant la cause, comme s'il s'agissait d'une question linéaire et univoque. Après tout, entre la cause et l'effet, il y a une béance. En termes de causalité psychique, il y a quelque chose qui se trouve entre la cause et l'effet, qui perturbe et déforme la linéarité. Lacan aborde ce "quelque chose" dans le séminaire XI principalement à partir d'une négativité : il utilise des termes tels que ‘béance’, ‘inconscient’, ‘non-réalisé’, ‘non-né’, ‘clocherie’. Ou encore : "Il n'y a de cause que de ce qui cloche"[3]. Plus tard, il y verra de plus en plus une substance jouissante qui ne peut être négativée.
Prendre cette béance en compte est une question d'éthique. Elle implique que l'on prenne au sérieux l'hypothèse de l'inconscient et que l'on suppose un agent entre la cause et l'effet. C'est précisément à ce point que se situe le Neurosenwahl de Freud ou “l'insondable décision de l'être"[4] de Lacan. C'est le point où une jouissance se fixe et se répète. Il n'y a pas de choix conscient de l'ego, mais plutôt une décision inconsciente d'un "être" inconscient. Toute psychanalyse arrive à ce moment où le sujet doit assumer ce qui a été choisi "en lui". L'éthique psychanalytique, en ce sens, est l'assomption d'un mode de jouir que l'on n'a jamais vraiment choisi et qui pourtant détermine le sujet.
Références
[1] Miller J.-A., « La cause et l’effet en psychanalyse », Ornicar?, n° 54, 2020, 22.
[2] Lacan J., Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973, 117.
[3] Ibidem, op. cit., 25.
[4] Lacan J., “Propos sur la causalité psychique” (1950 [sept. 1946]), Écrits, Paris, Seuil, 1966, 177.