La tache qui itère

 Mariela Vitto

Le blog du congrès de l’NLS, Tuché, nous renvoie aux concepts que Freud et Lacan déploient, Répétition et Fixation, titre de notre prochain congrès.

J.-A. Miller dans le texte «L’Un tout seul» fait référence à la réflexion de Roland Barthes sur la photographie dans son texte « La chambre claire ».  Barthes nous signale qu’il y a deux dimensions dans la photographie. Je vais en prendre une qui a relation avec la tuché. Ce que Barthes appelle le punctum, « c’est la piqûre, le petit trou, la petite tache, la petite coupure, mais aussi le coup de dé.  C’est le hasard…. »[1]. C’est de cela dont nous nous occupons dans une psychanalyse lacanienne, c’est-à-dire que nous nous orientons sur la tache.

Lacan dans le Séminaire XI souligne précisément cette répétition comme tuché , comme rencontre manquée. « La fonction de la tuché, du réel comme rencontre - la rencontre en tant qu’elle peut être manquée, qu’essentiellement elle est la rencontre manquée (…) »[2] Cela s’oppose à la répétition en tant qu’automaton, c’est-à-dire en tant que retour des signes.  Ce n’est pas l’histoire, ce ne sont pas les signifiants qui viennent se répéter qui comptent dans une analyse, mais le point d’arrêt.

Freud, infatigable chercheur de l’origine des symptômes, trouve la tuché dans ce reste inassimilable comme moteur d’une compulsion qui est à l’origine de la répétition liée au traumatisme.  Comme le dit Miller : « Le réel freudien, inassimilable, n’est pas inerte, c’est le moteur d’un Zwang. »[3].

« Pour Freud, le refoulement, ce qu’il s’agit de lever par l’interprétation analytique, a sa racine dans la fixation. (…) Il décrit la fixation comme un arrêt de la pulsion »[4]. L’expérience analytique s’ouvre alors au-delà de la répression, au-delà de l’histoire. En termes lacaniens : la répétition pure, l’itération de l’Un de la jouissance.

 De ce point de vue, l’interprétation lacanienne ne pointe plus vers une traduction, (production de S1 et S2), ce n’est pas un métalangage mais elle vient faire un autre usage de ce qui dérange, de la tache, peut-on ajouter avec Barthes, de la tache du non-rapport sexuel. « Ce que nous appelons encore "interprétation ", bien que la pratique analytique soit toujours davantage post-interprétative, révèle, sans doute, mais quoi ? - sinon une opacité irréductible dans la relation du sujet à lalangue »[5]. Notre interprétation vise à rediriger le sujet vers l’opacité de sa jouissance. Elle pointe vers le sinthome qui itère, c’est-à-dire ce qui ne trouve pas de traduction, vers le sinthome comme point de suspension. C’est la relation entre S1 et a, dont nous nous occupons dans l’expérience analytique.


Références

[1] Barthes R., La Chambre Claire, Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.

[2] Lacan J., Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973, 54.

[3] Miller J.-A., Un esfuerzo de poesía, 19a leccion, 11 junio 2003, Paidós, 287.

https://www.causefreudienne.net/un-effort-de-poesie

[4] Miller J.-A., “Fixation et pulsion”, Quarto n° 127, 2021, 11.

[5] Miller J.-A., “L’interprétation à l’envers”, La Cause freudienne, n° 32, 1996, 12.