La Bedeutung du symptôme : la fixation
Haris Raptis
Dans la 23ème Conférence de son Introduction à la psychanalyse, « Les voies de formation de symptômes », Freud traite du « rôle du fantasme dans la formation de symptômes ».1 À la différence de la 17ème Conférence, intitulée Der Sinn der Symptome (« Le sens des symptômes »), Jacques-Alain Miller a traduit le titre de la 23ème (Die Bedeutung der Symptome) par « La référence des symptômes », faisant écho à la distinction célèbre du logicien Gottlob Frege entre Sinn et Bedeutung2. Lacan se sert du binaire frégéen dans sa conférence à Genève pour établir la règle de partage entre le sens et la jouissance dans le symptôme : « Bedeutung est différent de Sinn, de l’effet de sens, et désigne le rapport au réel »3.
À la 23ème Conférence, Freud démontre que la référence du symptôme est le fantasme. Si l’«enveloppe formelle du symptôme »4 se réfère au Sinn du symptôme, à sa dimension sémantique, le noyau réel du symptôme pour Freud, sa Bedeutung, passe par le fantasme. Mais ce qui est frappant, c’est que le réel en jeu n’y est pas identifié au fantasme. Le fantasme serait plutôt un voile devant ce qui est au plus proche du réel, c’est-à-dire la fixation.
Pour Freud, il y a toujours un noyau de réel dans le fantasme, qu’il appelle «fixation», et qui est soustrait aux exigences de la réalité externe, à savoir au principe de réalité, comme aux exigences homéostatiques de la réalité interne impliquées par le principe de plaisir. Ainsi Freud est-il amené à poser une enclave de réel dans le fantasme qui perpétue la mémoire du traumatisme de la jouissance, et qu’il compare aux « réserves naturelles » : « Dans ces réserves, tout doit pousser et s’épanouir sans contrainte, tout, souligne Freud, même ce qui est inutile et nuisible »5.
« Situer le symptôme comme réel, dit Jacques-Alain Miller, c’est comprendre sous le terme “symptôme” à la fois “fantasme” et “fixation” »6. En fait, Freud pose que la formation de symptômes implique deux régressions : la régression au fantasme et, au-delà, la régression à la fixation. La libido freudienne rencontre dans la réalité la frustration (la Versagung) et, à partir de là, commence sa marche régressive vers le fantasme. Mais la régression de la libido vers le fantasme ne constitue, selon Freud, qu’une « étape intermédiaire ». La libido poursuit son trajet et, des fantasmes ayant subi un refoulement de la part du moi, et livrés maintenant à l’attraction de l’inconscient, elle « remonte jusqu’à leurs origines dans l’inconscient, jusqu’à ses propres points de fixation. »7
« Quand Lacan parlait du fantasme comme écran fondamental du réel, conclut Jacques-Alain Miller, il faisait référence à ce trajet. La notion de “traversée du fantasme” traduit l’idée selon laquelle on peut, par l’analyse, parcourir ce trajet à rebours pour extraire du fantasme son réel. »8
Références
1 Freud S., Introduction à la psychanalyse (1915-1917), traduit de l’allemand par S. Jankélévitch, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2015, 453. Traduction légèrement modifiée.
2 Miller J.-A., « Le Séminaire de Barcelone sur Die Wege der Symptombildung [Les chemins de la formation de symptôme] », Le symptôme-charlatan, Paris, Seuil, coll. « Le champ Freudien », 1998, 25.
3 Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme » (4 oct. 1975), Le Bloc-notes de la psychanalyse no 5, 1985, 14.
4 Lacan J., De nos antécédents (1966), Écrits, Paris, Seuil, 1966, 66.
5 Freud S., Conférences d’introduction …, op. cit., ibidem.
6 Miller J.-A., « Le Séminaire de Barcelone … », op. cit., 51.
7 Freud S., Conférences d’introduction …, op. cit., 454.
8 Miller J.-A., « Le Séminaire de Barcelone … », op. cit., 50.