Affectée
Ludovic Bornand
Rebecca, étudiante, dira lors d’une séance qu’elle « fait de l’anxiété, qu’elle est une usine à anxiété », que c’est son « fonds de commerce ». Son discours reste collé à cette anxiété et même si les termes changent, ce mot revient inlassablement à la même place. Or, comme le rappelle Alexandre Stevens dans l’argument du congrès de la NLS, Lacan a pu dire dans le séminaire XVII, l’Envers, « que la répétition n’est pensable, n’a de valeur qu’à partir de la jouissance ». « Anxiété, travail pour l’université et fatigue » sont pour Rebecca une manière de se définir sans pour autant associer autour de cela.
Jacques Borie, lors d’une conférence à Montréal en 1998, précisait que c’était l’un des « traits du symptôme moderne que d'être un symptôme peu discursif, peu bavard »[1]. Il rappellera un peu plus loin que « La psychanalyse, […] si elle peut opérer, c'est sur le sujet en tant qu'affecté, et on peut être affecté, quelle que soit la structure clinique à laquelle on a affaire, névrose, psychose ou perversion »[2].
En 1986, Jacques-Alain Miller indiquait que « dans la psychanalyse, l’affect n’est pas vrai d’emblée, il s’agit de le faire vrai »[3].
Le désir de l’analyste se situe du côté d’une implication du sujet, en ce sens qu’il puisse répondre d’une certaine manière de ce qui lui arrive. Il s’agit pour cela d’accompagner la répétition afin que puisse surgir du nouveau, de l’inédit. Ainsi, Rebecca s’entendra-t-elle dire dans sa plainte qui se répète, que pour elle « faire de l’anxiété, être fatiguée, exténuée est le signe qu’elle a bien travaillé et qu’elle n’est pas une ratée ». C’est seulement à ce moment-là que Rebecca pourra énoncer qu’elle aimerait être moins « indécise ». Un petit pas de côté qui nous rappelle que l’éthique du bien-dire vise à « raser d’aussi près qu’il se peut »[4] l’articulation entre la jouissance et le signifiant[5].
Références
[1] Borie J., “Les cernes de la dépression”, Conférence et séminaire, ACTES du Pont Freudien.
[2] Ibidem.
[3] Miller J.-A., “Les affects dans l’expérience analytique”, La Cause du désir 93, 2016, 102.
[4] Lacan J., “Télévision” (1974), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, 526.
[5] Pera-Guillot V., “« L’inconscient est structuré comme un langage » permet de vérifier plus sérieusement l’affect”, Hebdo-Blog 236, 2 mai 2021.