La jouissance Une : auto- ou hétéro-affection ?

Glenn Strubbe

 

Dans le dernier enseignement de Lacan, la fixation se manifeste dans une itération d’une jouissance d’un même Un, dont l’exemple paradigmatique est l’addiction. Jacques-Alain Miller considère cette addiction comme la racine du symptôme[1]

De quelle jouissance d’un même Un s’agit-il ? Miller distingue différentes formes de la jouissance Une. Il y a jouissance phallique, jouissance du corps propre, jouissance de la parole et jouissance sublimatoire. “Dans tous les cas, comme telle, elle ne se rapporte pas à l’Autre. La jouissance comme telle est jouissance Une.”[2] 

Ceci nous mène vers deux questions.

La jouissance ne se rapporte pas à l’Autre. S’agit-il dans tous ces cas d’une (autre) espèce d’auto-érotisme ? Ou est-ce que cette jouissance à laquelle le parlêtre est fixé est toujours ‘hétéro’, comme disait Lacan concernant le petit Hans : “[...] chez certains êtres, qu’on les appelle, la rencontre avec leur propre érection n’est pas du tout auto-érotique. Elle est tout ce qu’il y a de plus hétéro. Ils se disent - Mais qu’est-ce que c’est que ça ?[3] Ici, la jouissance se montre du côté du corps vivant comme Autre, parasitaire et donc ‘hétéro’. Mais Lacan évoque en même temps « une auto-affection du corps vivant » chez le parlêtre. “Nous ne savons pas, disait-il, ce que c’est que d’être vivant sinon seulement ceci, qu’un corps cela se jouit.”[4] 

Comment lire cette contradiction ‘auto-hétéro’ ? Si on la lit comme paradoxe à partir de la logique de l’extimité, la jouissance est auto et hétéro en même temps. Chaque jouissance Une - phallique on non-phallique - n’est-elle pas une auto-affection du point de vue de l’Autre symbolique, mais ‘hétéro’ dans le sens du corps-comme-Autre ?

Deuxième question : toutes ces sortes de jouissance Une que Miller distingue mènent-elles à d’autres formes de fixation-comme-addiction, à différencier dans la clinique ? Une addiction au corps propre, ou plutôt phallique ? Une addiction à la parole, ou sublimatoire ?


Références

[1] Miller J.-A., “Lire un symptôme”, Mental, n° 26, 2011, 56-57 ; Alexandre Stevens, Fixation et répétition, argument pour le Congrès 2022 de la NLS, 

https://www.amp-nls.org/wp-content/uploads/2021/06/Fixation-et-Repetition-argument-Alexandre-Stevens.pdf.

[2] Miller J.-A., “Les six paradigmes de la jouissance”, La Cause freudienne n° 43, 2000, 7-29.

[3] Lacan J., “Conférence à Genève sur le symptôme”, La Cause du Désir n° 95, 2017, 13.

[4] Lacan J., Le séminaire, livre XX, Encore (1972-1973), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975, 26.