Adixiones et fixation

Epaminondas Theodoridis


La clinique de la toxicomanie est une clinique de l’impossible, autrement dit du réel. Au premier plan se trouve la jouissance du corps, une jouissance mortifère, toxique, qui court-circuite la jouissance de la parole et se passe de l’Autre. C’est pourquoi la toxicomanie ne constitue pas un symptôme psychanalytique, mais sous la forme de l’addiction généralisée, elle est le symptôme par excellence de notre civilisation contemporaine.

Récemment, lors du 3e Colloque international du TyA1, nos collègues argentins ont développé le concept d’Adixiones avec un x, comme il a été proposé Ernesto Sinatra2. Cette nouvelle écriture, inventive et pertinente, conjoint la fixation freudienne (Fixierung) de la jouissance et la définition de l’addiction par Jacques-Alain Miller comme un cycle de répétitions de jouissance dont les instances ne s’additionnent pas et dont les expériences n’apprennent rien au sujet3. L’addiction, selon cette nouvelle perspective, devient la racine du symptôme, qui est fait de la réitération inextinguible du même Un de jouissance4. Il s’agit du noyau réel du symptôme qui persiste au-delà de son déchiffrage. Cette répétition de jouissance, consécutive à ce traumatisme initial du corps par la violence du langage, se fait hors sens et hors savoir.

Le corps et la jouissance sont impliqués dans toutes sortes d’addictions. Selon nos collègues argentins, la lettre x indique la singularité de la jouissance du parlêtre et l'opacité de cette jouissance qui itère. Mais la consommation des objets toxiques, ne vient-elle pas occulter ce mode singulier de jouissance dont le sujet ne veut rien savoir ? La clinique actuelle nous montre la fixation de certains sujets toxicomanes à une drogue déterminée qui devient leur partenaire d’élection, même si la polytoxicomanie est actuellement très répandue. Dès lors, comment pourrait-on articuler cette fixation initiale de la jouissance, cet événement de corps contingent, due au choc du langage sur le corps, que l’on arrive éventuellement à cerner à la fin de l’analyse, avec la fixation au toxique ?

Notre orientation dans la cure avec les toxicomanes se trouve aux antipodes de l’approche neuroscientifique ou psychothérapeutique. Que le sujet puisse se séparer de sa jouissance mortifère en se rebranchant à l’Autre, tel est l’enjeu de notre travail sous transfert. La clinique de la toxicomanie nous impose la modestie, selon l’expression de J.-A. Miller. Tous les cliniciens reconnaissent combien il est difficile d’accrocher le sujet à un discours et au champ de l’Autre. Mais arriver à mettre en lumière les coordonnées de sa rencontre avec la drogue et la fonction de l’objet drogue dans l’économie de sa jouissance singulière, c’est ouvrir la voie à l’invention d’une solution symptomatique. Notre pari est donc de dégager cet x des Adixiones, le x de la fixation, pour que le sujet puisse échapper à la répétition de jouissance toxique et y reconnaître la part de sa propre responsabilité.

Références

1 Le 3e Colloque International TyA a lieu par zoom le samedi 14 mai 2022, sur le thème : « Addictions : Rejet ou choix de l’inconscient ? - Effets d’interprétation dans les traitements par la parole des toxicomanes ».

2 Sinatra E., Adixiones, Grama ediciones, Buenos Aires 2019.

3 Miller J.-A., « L’Un est lettre », La Cause du désir no 107, Paris, Navarin, mars 2021, 34.

4 Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental no 26, Paris, juin 2011, 58.