Aboyer jusqu’à Un

Galia Weinstein

La répétition du même événement ou la repetition du même Un


D’après l’argument – Fixation et répétition – par Alexandre Stevens, « la répétition est un des quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, comme Lacan les reprend dans dans le Séminaire XI où il introduit, avec la répétition, un nouveau mode du réel. Pour ce faire, il la distingue du transfert. »1

Selon Stevens, Freud associe la répétition et le transfert dans le texte : Remémoration, Répétition, Perlaboration.2 Alors que d’après Lacan, la répétition, qui est l’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, n’est pas liée au transfert, mais à la pulsion.

C’est dans ce sens que je me souviens d’un événement personnel.

Au cours d’un repas de famille, ma petite nièce, âgée de deux ans, court vers moi avec un livre, le pose sur moi et me montre la première page avec son petit doigt. Elle me demande avec ses gestes de lui lire ce livre.


« Un chien », dit-elle en tournant la page.

Sur la deuxième page, on peut voir deux chiens dessinés.

Je commence la lecture de ce livre qu’elle a déjà entendu des dizaines de fois, et j’attends qu’elle complète la phrase : « Un, et … ? »

Elle répond : « Un ».

Je lui dis alors : « Regarde bien, combien de chiens vois-tu ? » (Il y a deux chiens sur le dessin.)

Elle me répond : « Un et un », et se met à rire.

Sur la page suivante sont dessinés trois chiens. Ma petite nièce s’exclame en me montrant du doigt chaque chien « Un, un et un ! »

Et elle continue comme ça, avec toutes sortes de dessins d'animaux différents, des girafes, des papillons, etc…, et ce jusqu’à dix.

Sa grande sœur rit et tente de la corriger en lui disant : « Viens compter avec moi : un, deux, trois … ».

Mais ma petite nièce s’entête : « Un ! »

Autour de la table nous rions tous.

C’est à ce moment précis que je me rends compte de toute la difficulté de compter. Comment passer de un à deux ? Pourquoi ne pas rester avec un et un et un… ?

Cela m’amène à penser combien il est compliqué de concevoir l’idée de suite.

Les questions qui se posent sont alors les suivantes:

Est-ce que ma petite nièce, dans sa manière toute particulière, bien à elle, de compter avec le numéro un, représente l’unicité de chaque chien, girafe etc… ?

En d’autres termes, voit-elle chaque chien ou chaque girafe comme unique ?

Et alors, est-ce que le fait de prononcer « un, un » au lieu de compter en suites est lié au transfert, en ce sens qu’il provoque le rire chez l’autre ?

Comme Alexandre Stevens le remarque en citant Jacques-Alain Miller :

« Il y a quelque chose d’honnête dans la répétition, et qui est bien connu »3.

Ou alors à l’inverse, cette répétition est-elle du côté de la pulsion, de la jouissance ?

Comme Jacques-Alain Miller le dit dans son cours L’être et l’Un, « la jouissance (…) est un événement de corps. (…) elle est de l’ordre du traumatisme, (…) elle est l’objet d’une fixation. »4

Dès lors, le fait que l’autre rie maintient la répétition un-un, qui va de pair avec la pulsion.

Références

1 Stevens A., Fixation et Répétition, argument du Congrès 2022 de la NLS: https://www.amp-nls.org/wp-content/uploads/2021/06/Fixation-et-Repetition-argument-Alexandre-Stevens.pdf

2 Freud S., “Remémoration, répétition, perlaboration”, (1914), La Technique Psychanalytique, PUF, Paris 1977, 105 sq.

3 Miller J.-A., La fuite du sens (1995-1996), inédit, L’orientation lacanienne, cours du 20 mars 1996.

4 Miller J.-A., L’être et l’Un (2011), inédit, L’orientation lacanienne, cours du 9 février 2011.